Cinéa, numéro 10 (1930)

 Stan Laurel est un gentleman anglais. Pour un Américain, tous les Anglais sont grands ; ils ont les traits fins, le teint vermeil, portent un costume de drap vieux genre et manient habilement le monocle.
 Il n’y a pas de place pour un monocle sur la figure ouverte de Stan Laurel. Il n’est ni grand, ni de fine apparence, tout au moins pas avec son toupet vertical caractéristique. Il est vrai qu’il aime le drap vieux genre confectionné par un tailleur de Londres, mais c’est tout ce qu’il possède pour justifier le titre de héros de roman anglais.
 Par exemple, ce raffinement des gens bien élevés — courtoisie prévoyante, tact infini, grâce, amour de l’honneur — sont innés chez Stan Laurel. Dans ce petit comédien aux grands yeux, jouant des rôles rudes, habillé n’importe comment, tombant et criant, recevant des tartes dans la figure et des coups de pied quelque part..., dans ce type comique, on trouva les traits gracieux de caractère que nos héros populaires de l’écran représentent si mal au cinéma.
 Rien d’étonnant donc que j’aie été surprise de voir Laurel, en chemise de flanelle et nu-pieds, me parler d’un ton de voix cultivé avec le vrai accent anglais et une diction parfaite. J’ai failli en tomber sur la chaise qu’il me présentait avec une élégance de manières qui ne correspondait nullement à la façon dont il était vêtu.
 Je rendais visite à Laurel et Hardy au studio Hal Roach, essayant d’avoir des données authentiques pour mon article sur les deux comédiens qui font, rire tout le monde. Quels types peuvent-ils bien représenter dans la vie privée ? se demande-t-on de toutes parts. J’ai enfin trouvé.
 La personnalité de chacun de ces deux messieurs n’a rien de surprenant. M. Laurel est un honorable citoyen de Beverly Hills. Il a une femme charmante — sa première et unique — une petite fille de deux ans et un Saint-Bernard.
 Quand Laurel a une idée pour une comédie, il appelle Hardy au téléphone et lui dit, par exemple, ceci : « Olivier, ma femme vient de me raconter que deux vendeurs lui ont rendu visite aujourd’hui pour lui faire acheter une lessiveuse électrique ; elle ne voulait rien entendre, mais ils ont insisté. » Qu’est-ce que vous pensez de cette idée ? Olivier y réfléchit pendant la nuit et, le lendemain matin, il est prêt à combiner quelque plaisanterie avec son associé. C’est ainsi que prit naissance leur comédie de la lessiveuse qu’ils ont intitulée Hat’s Off.
 Stan Laurel commença sa carrière avec la Fred Karno’s Comedy Company en qualité de doublure pour remplacer Charlie Chaplin. Cette compagnie arriva à New-York en 1910 en provenance de Liverpool pour jouer la pantomime burlesque au Colonial Théâtre, à New-York. 
 Laurel m’expliqua que, pendant tout le temps qu’il travaillait avec Charlie, il n’avait jamais eu une seule occasion de le remplacer. « Charlie était toujours en retard et distrait, mais chaque fois que j’étais prêt à jouer son rôle, il arrivait tout à coup à la dernière minute sans s’inquiéter des lamentations des directeurs. »
 Deux ans après l’arrivée de la troupe anglaise de pantomime Karno à New-York, Mack Sennett engagea Chaplin pour ses Keystone-Comedies.
 « Nous pensions tous que Charlie était fou de quitter la sécurité du théâtre pour l’art douteux de la photographie en mouvement », expliqua Laurel. « Il gagnait 260 francs par semaine (moi, je n’en avais que cent) et il était magnifique dans son rôle d’homme ivre au nez rouge et chapeau à haute forme, interrompant notre représentation tous les soirs. »...
 Par suite du départ de son étoile, la Karno Company perdit ses forces et rendit bientôt le dernier soupir. Personne ne pouvait remplacer Charlie, le mime ; Laurel souffrit autant de cette perte que la caisse du théâtre, car il avait été avec lui dans tous ses voyages.
 « Pour économiser, nous faisions cuire des côtelettes dans notre chambre, dit Laurel, « Charlie s’asseyait à là porte et grattait fortement de la mandoline pour empêcher la maîtresse de la maison d’entendre le bruit de la viande qui cuisait. »
 Une fois la Karno Company dissoute, Laurel imita dans les théâtres de variétés son ami Chaplin, dont il avait été la doublure pendant sept ans. En 1917, alors qu’il jouait à Los Angeles, Laurel rencontra Charlie de nouveau et ce dernier lui conseilla vivement d’essayer l’écran. C’est ainsi que Laurel commença sa carrière au cinéma, mais ce n’est que dix ans plus tard qu’il réussit à percer, grâce à la rencontre qu’il fit d’Olivier Hardy, avec lequel il forma par la suite un duo incomparable. .
 Hardy, qui commença dans ses rôles comiques sous le nom de « Babe », aspirait à devenir un brillant avocat. Possédant une belle voix et pesant 230 livres, il aurait fait bel effet dans un tribunal. Toutefois sa voix l’entraîna à chanter, et le futur avocat se trouva tout à coup sur les planches, chantant quelque chose de sa propre composition.
 Engagé ensuite par la Lubin Company, il fit ses débuts au Cinéma en collaboration avec Larry Semon (Zigoto). Après plusieurs années d’activité comme acteur silencieux dans la production de films courts, il débuta en 1926 chez Hai Roach et rencontra enfin Stan Laurel.
 Hardy est ce genre d’homme gras qui a le talent de plaire ; il ne ressemble pas au gros type pouffant et suant. Il est léger, gracieux et poli.
 Stan Laurel et Olivier Hardy sont intelligents. L’un comme l’autre se rend compte que, sans son associé, il ne serait jamais sorti de la médiocrité du pauvre comique cherchant à faire rire.
A. O’MALLEY.

Revue Cinéa, décembre 1930 — n° 10
Source BNF-Gallica


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